La durabilité est un processus dynamique

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En quoi le concept de durabilité est-il en train d'évoluer ? Comment l'architecture répond-elle aux exigences et aux impératifs de plus en plus stricts des réglementations européennes ? Qu'y-a-t-il toujours eu d'intrinsèquement durable dans la bonne architecture ? Nous avons abordé ces thèmes avec Benedetta Tagliabue, fondatrice avec Enric Miralles de l'agence EMBT Architects, aujourd'hui présente à Barcelone, Shanghai et Paris.

En quoi le concept de durabilité est-il en train d’évoluer ? Et comment la pratique de l’architecture le met-elle en œuvre ?

Dans le monde de l’architecture, les concepteurs se sont penchés sur la question de l’impact environnemental depuis quelques décennies déjà. Auparavant, on n’avait guère conscience des conséquences de ses choix, notamment en ce qui concerne la forme de l’architecture et les matériaux qui la construisent.

Aujourd’hui, cette prise de conscience évolue et s’élargit, tout comme la connaissance du sujet. Si je pense aux premiers prix de durabilité, je me souviens que les œuvres récompensées étaient souvent des bâtiments dotés de systèmes très performants qui garantissaient leur efficacité énergétique. À présent, nous sommes très éloignés de ce concept. Le paradigme d’efficacité s’est transformé en celui de décarbonation pour venir s’entremêler aux critères « S » et « G ». Plus le nombre d’éléments qui composent le cadre, y compris celui réglementaire, est important, et plus le travail autour de l’architecture et de son impact sur l’environnement et les personnes devient intéressant.

En quoi les réglementations européennes et la volonté de transition écologique influencent-elles la conception ?

Le corpus des nouvelles réglementations européennes définit des paramètres et des critères qui entrent dans une large mesure dans le processus de la conception et des choix en matière de technologies et de matériaux.

Dans notre agence, outre notre expertise interne, nous faisons appel à des spécialistes pour nous aider à définir le bon équilibre entre les nombreux domaines de la conception – des dimensions technologiques aux dimensions sociales – en essayant d’obtenir les meilleurs résultats en termes d’efficacité et de bien-être pour les personnes qui vivront dans les espaces que nous concevons.

En matière de conception, l’obtention de performances élevées ayant un faible impact sur l’environnement est un processus dynamique, un travail continu sur différents facteurs, un va-et-vient. Il n’y a pas la linéarité d’un processus industriel. Le projet évolue dans son processus d’optimisation des facteurs, notamment par rapport à une mise en regard continue avec le système de contraintes et de performances à garantir.

Quels sont les éléments de votre poétique que l’on pourrait définir comme étant annonciateurs d’un concept moderne de durabilité ?

À n’en pas douter, le choix des matériaux : nous avons toujours eu une préférence pour les matériaux naturels. Pour le bois, un matériau vivant dont la filière, si elle est bien suivie et protégée, se régénère avec qualité.

Pour la céramique, également, qui est un matériau naturel, avec une culture ancestrale, que l’on peut définir « amie » depuis des millénaires.

Mais nous aimons aussi expérimenter avec de nouveaux matériaux, en nous appuyant sur des experts et des études comme Transsolar, qui parvient à définir un bon équilibre des matériaux dans le respect des paramètres de durabilité les plus stricts.

Enfin, nous avons toujours cherché à faire une architecture fortement en lien avec les lieux, notamment pour ce qui est du choix des matériaux, un « kilomètre zéro » avant la lettre, en quelque sorte.

Être durable, c’est aussi respecter les bâtiments qui sont arrivés jusqu’à nous. Ils ont survécu à de grands changements, au temps et au bouleversement des espaces intérieurs, ils méritent notre attention.

Si je pense à la maison que j’ai réalisée avec Enric Miralles à Barcelone en 2000, j’ai la confirmation d’avoir fait quelque chose qui est encore très pertinent aujourd’hui. Nous avons accepté l’existant dans son intégralité – un vieil entrepôt abandonné dans le quartier gothique – et réutilisé tous les matériaux, même les plus pauvres, des caisses en bois de l’entrepôt à tous les carreaux présents.

Sur les murs, plusieurs couches de peintures datant des années 1700 sont visibles sous le papier peint, qui ont été restaurées et rehaussés d’insertions de couleur.

La cuisine, dont l’îlot central est en pierre artificielle, est dotée d’un évier ancien en marbre fixé au mur, lui aussi récupéré, et, à l’arrière-plan, d’un revêtement mural en carreaux carrés de couleur crème avec un motif floral central, d’origine : ces éléments restituent pleinement un concept de durabilité de plus en plus partagé et mis en pratique.

Parmi les œuvres de l’agence EMBT, lesquelles représentent le mieux la complexité de la période que nous vivons et la transition vers de nouveaux paramètres de durabilité ?

Même s’il n’est pas récent, le pavillon espagnol de l’exposition universelle de Shanghai en 2010 était le fer de lance de la recherche d’une nouvelle idée de la durabilité. Ce projet structurel innovant associait une structure moderne en acier à un cadre en osier traditionnel venant compléter la façade extérieure. L’osier est un matériau traditionnel et durable qui a été réinterprété pour cette œuvre. Chaque panneau, fait à la main, a été produit selon des méthodes traditionnelles à la fois en Chine et en Espagne pour sceller la liaison culturelle entre les deux pays.

Nous travaillons également sur de nombreux projets de renaturation urbaine. Il s’agit entre autres du Parco del Mare, le vaste projet de régénération du front de mer de Rimini, un ouvrage de réaménagement urbain et paysager qui reliera le centre urbain et le bord de mer, sur 16 kilomètres, à travers la nature.

 Cette intervention de requalification a pris en compte une stratégie d’adaptation à lala crise climatique : la promenade a été surélevée de 80 centimètres pour lutter contre les intrusions marines.

Nous avons également travaillé dans une logique de renaturation à Hambourg. Les espaces ouverts de la zone ouest du quartier HafenCity sont l’un des éléments centraux de requalification de l’ancienne zone portuaire, située au sud du quartier historique de Speicherstadt, en bordure du centre-ville. Dans les zones autrefois endommagées par les bombardements, des saules ont été plantés et des escaliers créés pour accéder directement à l’eau. 

Enfin, la station de métro Centro Direzionale de Naples.

Le grand toit en bois crée une zone ombragée sous laquelle on peut faire halte, ce qui, avec les nouveaux espaces verts environnants, contribuera à atténuer la température. Une approche résiliente, qui intègre le changement climatique comme une donnée de conception et le transforme en une nouvelle idée de l’architecture.