Notre salon

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Dans le projet « Marazzi Under the Skin », qui célèbre le quatre-vingt-dixième anniversaire de Marazzi, une villa imaginaire dessinée par Charlotte Taylor est accompagnée de six essais de designers contemporains renommés, chacun dédié à un espace de la maison. Guglielmo Giagnotti et Patrizio Gola, fondateurs de studioutte, nous racontent l’évolution du salon et leur conception de la maison comme un nid.

Pour studioutte, le living est le lieu où tout a commencé : un espace partagé, d’abord domestique puis professionnel, qui a vu naître le studio et continue d’en incarner l’âme. À travers le récit de deux salons milanais – l’un intime et nordique, l’autre essentiel et ouvert – se dessine une vision du living comme un environnement fluide, où travail et vie se superposent, et où chaque objet, revêtement et lumière contribue à façonner un paysage habitable personnel et en perpétuel mouvement. La céramique, dans ce contexte, est conçue comme une toile neutre et cohérente, capable d’accueillir et de valoriser la stratification d’histoires, de fonctions et de relations qui habitent l’espace.

« Nous n’avons jamais vécu ensemble, pourtant notre collaboration est née dans un salon, ou plutôt deux, situés par hasard dans la même rue de Milan, près de la Gare Centrale. »

Après une brève expérience professionnelle commune, nous avons fondé notre studio, qui a pendant un certain temps eu son siège dans le salon de Guglielmo. Sa maison a un aspect un peu nordique : le salon est délimité par deux fenêtres avec une balustrade très basse et décorée, par lesquelles entre une lumière nette, surtout l’après-midi. L’idée était d’y installer seulement un canapé et une lampe sur pied. En réalité, comme cela nous arrive souvent, nous avons commencé à accumuler. Il y a des livres partout, nous devons les déplacer pour faire asseoir les personnes. Et une quantité infinie de petits objets : des couverts en os, de vieux petits vases en bois, des statuettes orientales en terre cuite, des têtes africaines, des œufs en albâtre, une croix copte. Ce sont des références à l’imaginaire pictural flamand, aux natures mortes de Pieter Claesz, des objets profondément liés à notre style, puisque même ceux qui peuvent sembler plus décoratifs restent d’une certaine manière muets, secs, assertifs. Plus tard, l’atelier s’est installé dans le salon de la maison de Patrizio.

Un espace ouvert au rez-de-chaussée d’une maison à balcons, avec des plafonds hauts de quatre mètres. Nous l’avons conçu comme un espace brut, essentiel, réchauffé par le mobilier que nous dessinons et par un grand tapis en coco. Au sol, une résine blanche crée un jeu de reflets avec le plafond laqué brillant couleur ivoire. Pour nous, le revêtement est la toile sur laquelle se détachent ensuite les différents objets qui peuplent une maison, et pour cette raison, il doit être neutre, absolu et cohérent entre les différents espaces, à l’exception peut-être d’une pièce-refuge, une boîte recouverte de carreaux.

Depuis quelques années, le salon de Patrizio est devenu un véritable studio-galerie où nous exposons nos travaux pendant la Design Week de Milan. Dans ce cas, ce n’est pas seulement le contenu qui change complètement, mais aussi le contenant : nous posons de la moquette au sol, des tissus aux murs, des armatures en aluminium… Un contraste fort se crée entre cet espace et la cour de cette maison populaire du XXe siècle, avec les poubelles et les dames qui promènent leurs chiens. L’année dernière, plus de mille personnes ont franchi notre salon.

Le salon traditionnel italien était un lieu institutionnel, de représentation, qui restait inoccupé la majeure partie du temps et ne s’ouvrait que lors d’occasions spéciales. Aujourd’hui, aussi pour des raisons de surface, l’appartement moyen-bourgeois tend vers une fluidification totale des espaces et une liquéfaction de l’hospitalité, qui devient informelle et éphémère. C’est l’idée de la maison-showroom, avec l’îlot de cuisine qui devient table, la table qui fait face au canapé, le canapé qui regarde la télévision, et tout ce que cela implique. Cuisine, salle à manger et salon s’hybrident en un seul espace où l’on passe la majeure partie du temps, aussi bien en solitude qu’en compagnie. Nous, en revanche, sommes attachés à la pureté de la pièce, un concept classique italien. Nous avons une idée très nette de la maison comme un nid, où la disposition compacte des espaces et du mobilier crée des bulles qui transmettent un sentiment de refuge et de protection.

Lorsqu’on nous demande de concevoir un salon, nous sommes rarement d’accord avec nos clients sur le choix du canapé. Pour notre part, un long matelas posé à même le sol, recouvert d’un bon tissu, nous conviendrait parfaitement. C’est une idée de salon horizontal, aux proportions étirées et étendues, d’inspiration afghane, où un canapé linéaire et imposant est entouré d’une constellation de petites tables et de sièges. Il y a une image très forte du living de Cy Twombly, à Rome, avec toutes les chaises Breuer claires alignées en série et une table qui frôle le sol. Pour souligner l’horizontalité du living, les points lumineux sont également très importants ; ils doivent être synthétiques et décoratifs, posés au sol ou sur des meubles bas.

La perception que nous avons de nos living change lorsque la soirée tombe, les lumières deviennent tamisées, les objets de travail sont retirés et les collaborateurs rentrent chez eux. Nous lisons un livre, regardons notre téléphone portable, et nous réapproprions en quelque sorte notre espace, même si ce n’est jamais un processus achevé, car la frontière entre travail et vie privée, dans notre cas, est floue. Lorsque nous recevons des personnes chez nous, nous sommes toujours surpris de voir qu’après le dîner, elles se déplacent de la table au canapé. C’est une trace culturelle, analogique, un héritage du passé. Ou peut-être, plus simplement, nos chaises sont inconfortables.” – studioutte

Marazzi. Under the Skin est un projet éditorial qui célèbre les 90 ans de Marazzi, où la céramique devient matière narrative, capable de raconter l’identité des espaces et de ceux qui les habitent.

Dans le volume Une Casa Immaginata — une villa imaginaire conçue par la designer britannique Charlotte Taylor — prennent vie six espaces suspendus entre réalité et vision, où les surfaces, couleurs et textures Marazzi créent des atmosphères intimes et évocatrices.

Dans ce contexte, sept auteurs et studios créatifs ont été invités à raconter leur lien avec un espace de la maison, mêlant souvenirs personnels, réflexions projetuelles et suggestions matérielles.

Ainsi, dans le living, le regard de Charlotte Taylor se traduit par un environnement essentiel, animé de touches ludiques et de références au design italien des années 70-80, pensé pour accueillir la soirée entre reflets chaleureux et musique ; Un espace qui, pourstudioutte,devient l’origine et l’âme de son propre parcours, où vie et travail s’entrelacent, et où la céramique se fait toile neutre, capable d’accueillir histoires, relations et paysages en perpétuel changement.

Contribution: studioutte
Images: Charlotte Taylor

Floor: Slow Pomice and Vero Quercia
Table: Terramater Cotto

studioutte
studioutte est un studio d’architecture et d’intérieur fondé par Guglielmo Giagnotti et Patrizio Gola en 2021, à Milan. La recherche du studio se concentre sur les thèmes de l’archétype, du soft minimal et du langage vernaculaire.